« J’AVAIS LE SIDA ET VOUS M’AVEZ ACCUEILLI… »

Après avoir parcouru les routes du Canada et des Etats-Unis comme guide-accompagnateur, j’ai pris conscience et compris que ce travail n’était pas tout à fait conforme à l’esprit de saint François dont on connaît le dévouement, la tendresse et la compassion pour les malades et les pauvres. J’ai relu sa vie. J’ai été frappé par cet épisode de Gubbio où il fut reconnu et hébergé par l’un de ses anciens amis qui lui donna une tunique. Par désir de totale humilité, il se rendit ensuite chez les lépreux pour les visiter et leur prodiguer des soins. Rien ne lui semblait plus abominable que les misères de ces lépreux. C’était la maladie de son siècle. Plus tard il évoquera lui-même, dans son « Testament », ce tournant décisif de sa vie: « Quand j’étais encore dans les péchés, écrit-il, la vue des lépreux m’était insupportable, mais le Seigneur me conduisit parmi eux et je les soignai avec compassion. Et quand je les quittai, ce qui m’avait semblé amer s’était changé pour moi en douceur, pour l’âme et pour le corps. »

Nous sommes au 20e siècle. J’ai acquis la conviction que les malades qui ressemblent le plus aux lépreux du temps de saint François sont les malades du sida de notre siècle. J’ai pris la décision de travailler pour les sidéens. Après une entrevue préliminaire avec les responsables, j’ai suivi à quelques reprises des cours obligatoires d’initiation à l’écoute de ces grands malades. Depuis trois ans, je consacre une demi-journée et plus par semaine, sur demande, à les écouter au téléphone. Je voudrais vous partager, à partir de ces appels téléphoniques auxquels j’ai répondu, un peu de la vie de ces personnes atteintes du sida, esquisser quelques profils.

C’est d’abord une personne humaine bien vivante, atteinte d’une maladie terrible qui conduit à la mort à brève échéance. Quelqu’un en état de choc; en pleine jeunesse, il voit s’estomper ses rêves, ses ambitions et un avenir prometteur. Il désire finir ses jours dans l’ombre et le silence, mais avec dignité. Une personne atteinte du sida, c’est aussi un enfant de Dieu, un sauvé comme nous tous à qui le Seigneur tend les bras. Et là, se produit un changement merveilleux. Celui à qui l’on prétend apporter réconfort, force, courage, ne finit pas de nous étonner en nous apprenant ce qu’est la vraie vie. Celui pour qui toutes les minutes prennent soudain une importance neuve nous enseigne à prendre le temps de goûter tout ce qu’il y a de beau, de bon, de grand, de gratuit, le temps d’aimer vraiment.

« Le sida nous dérange tous. On murmure à l’oreille. On baisse les yeux… C’est le non-dit par excellence de notre société. Déjà la mort était tabou: on la maquillait au mieux, on évitait même le mot. Que dire de cette mort suspecte par le sida ? N’est-elle pas reliée de façon trouble à des chemins « pas corrects » ? Mais voilà, comme le divorce, la toxicomanie, le phénomène se rapproche étrangement. C’est gênant. Beaucoup de « bonnes » familles sont touchées. Les personnes séropositives qui ne le savent pas ou ne le disent pas sont beaucoup plus nombreuses qu’on pense, avertissent les médecins et intervenants. »

« Magic Johnson, le joueur idole-fétiche de basket-ball nous apprend que la deuxième vague déferle sur les hétérosexuels inconditionnels ! La peur nous prend. Voilà les autruches au défi. Les croyants encore plus peut-être, avec ce défi d’évangile, version 1995: J’étais étranger, j’avais le sida et vous m’avez accueilli ! »

Un après-midi à Info-Sida

Un après-midi par semaine, assis au bureau d’Info-Sida, je consacre six heures à répondre aux appels téléphoniques de personnes atteintes du sida et de leurs parents ou autres. Je leur donne surtout la chance de parler. J’essaie ensuite de répondre aux questions soulevées par mes interlocuteurs. À titre d’exemple en voici quelques-unes.

Une mère éplorée par la maladie de son fils recherche du réconfort et de l’aide.
Un jeune s’inquiète, à la suite de relations sexuelles non protégées, de la possibilité d’être séropositif.
Un malade du sida recherche une maison d’hébergement qui pourrait l’accueillir et le soutenir.
Un malade recherche un accompagnateur auquel il pourrait se confier, capable de l’aider et de lui redonner confiance en le soutenant jusqu’à la fin de ses jours.
Témoignages

J’ai choisi quelques témoignages authentiques tout récents recueillis au cours de mes rencontres avec eux, qui nous confrontent à la réalité. « Le message de ces nouveaux lépreux nous concerne tous. Leurs mensonges obligés, leur silence, leur cri, notre hypocrisie, tout cela bouscule soudainement notre conscience. « Ce qui est étonnant avec le sida, c’est que les autres nous deviennent étrangers et l’on devient étranger aux autres! », disait l’un d’entre eux. À travers leur cri, peut-être entendrons-nous le Christ ? À travers leurs réflexions, peut-être trouverons-nous une nouvelle sérénité devant notre propre condition mortelle? Et surtout meilleure sagesse pour vivre à plein le cadeau qu’est la vie ? »

Présenter le sida comme une vengeance de Dieu, c’est indigne ! (Mgr Jacques Gaillot)
Cette personne qui m’a fait ça.
Ça me rend très faible. C’est difficile de vivre avec ça. Ces quatorze médications! Je suis comme agressif des fois. Contre cette personne qui m’a donné ça. (Bobby, enfant contaminé pour une transfusion à 5 ans)
Ne plus avoir honte.
J’aimerais ne plus avoir honte d’être malade. C’est ça la pire des choses. J’ai connu des gens qui avaient des maladies terribles. Comme le cancer. Les gens autour sont conciliants…Allez dire que vous avez le sida! Vous allez voir ! (Luc)
Je veux dire merci.
Je veux rendre hommage aux thérapeutes et amis qui m’ont aidée à m’accepter telle que je suis. Séropositive, maman de deux filles. Y a pas de tête de séropositif. On est tous concernés par ça. (Femme de 50 ans)
Si quelqu’un se ferme à toute compassion, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? (St-Jean)
(Tiré de « En Bref », vol. 29, no.8, oct. 1995)

UN MESSAGE DE SOLIDARITÉ…

D’ailleurs, à ce propos, on peut relever un effort intéressant de la part de deux importants groupes de catholiques américains qui ont acheté une pleine page de publicité, le 30 décembre 1998, dans le New-York Times. Cette page contenait près de 2000 signatures de responsables d’organismes ou d’individus apposées sous une déclaration pour mettre fin à la violence envers les personnes lesbiennes et gaies. Sous le titre « Engagement de catholiques pour mettre fin à la violence envers les personnes lesbiennes et gaies », cette déclaration vient dans la foulée du décès brutal de Mathew Shepard, étudiant ouvertement gai de l’Université du Wyoming battu à mort, acte qui a bouleversé la sensibilité de la nation et dévoilé les préjugés, la discrimination, le harcèlement et la violence dont sont l’objet les lesbiennes et les gais. « Nous ne pouvons passer sous silence un tel acte (le décès de Shepard). Notre foi catholique inspirée par la parole de Jésus-Christ nous oblige à porter témoignage. »

Le texte de l’engagement cite le catéchisme, des documents émanant du Vatican et de la Conférence américaine des évêques, qui s’opposent à la discrimination basée sur l’orientation sexuelle et qui font appel aux responsables religieux catholiques pour dénoncer les déclarations anti-gaies, qu’elles soient de sources religieuses ou politiques.

Parmi les 1931 signatures publiées dans le Times, on peut identifier 13 organismes nationaux, 54 groupes régionaux, 69 communautés religieuses, 26 curés et 9 évêques.

Une des signataires, sœur Mary Jacinta Doyle, une franciscaine qui a œuvré auprès des sidéens et de leur famille, a déclaré au Cincinnati Enquirer: « Je pense que la violence contre des êtres humains ayant les mêmes droits que tous est un crime horrible. La base du christianisme est un message d’amour qui est certainement contraire à la violence. »

(Tiré de Fugues, Vol.15, no.11, février 1999).

GUY SAINT-PIERRE, ofm

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