EN FAVEUR DES SANS-VOIX

La Maison du Père est principalement un centre d’hébergement temporaire pour itinérants, aussi appelés « sans-abris ». Lors du 25ième anniversaire de sa fondation, le directeur souhaitait, c’est assez drôle à dire, que nous soyons fermés dans les 25 prochaines années.

Si tout le monde prenait ses responsabilités –aux divers palliers concernés– le problème de l’itinérance pourrait être supprimé. Cependant, par le virage ambulatoire, on cherche encore à diminuer le nombre de lits des hôpitaux, espérant que la communauté sera capable d’un large accueil, sans véritablement s’assurer de cette capacité ou de prévoir en cas d’essoufflement. En particulier pour ce qui touche les hôpitaux psychiatriques, puisqu’il s’en va vers une autre désinstitutionnalisation.
Plusieurs services sont offerts conjointement à l’hébergement, en guise de prévention. Celui du service social veille à gérer I’argent d’une trentaine de « gars », la plupart atteints de schizophrénie, en s’assurant de payer leur loyer et en répartissant dans le mois le reste de leur prestation de Sécurité du revenu selon leur capacité de gestion.

UN RÔLE D’ÉDUCATEUR EN SILENCE

Mon rôle consiste à faire le lien entre I’intervenant social de la maison du Père à son bureau et l’itinérant demeurant en chambre ou en pension. Des visites à domicile, des accompagnements pour des rendez-vous ou des achats composent le menu de ma journée; plutôt varié et imprévisible, comme ces itinérants qui n’ont pas de structure. Lorsque je vais dans leur chambre, une part de la rencontre est consacrée à la discussion (parfois très maigre, la schizophrénie provoquant un repli) sur leurs activités de la semaine, les loisirs, les choses à privilégier, et l’autre part au ménage et à I’hygiène personnelle. Un long apprentissage d’une réappropriation de l’itinérant sur sa vie, son milieu. Un peu comme on pourrait apprendre à un enfant à faire son lit, ranger sa chambre, se laver, se nourrir convenablement, jusqu’à lui enseigner à faire ses choix.

LE TEMPS DE L’ÉMERVEILLEMENT

Le but avoué de mon implication, c’est de guider I’itinérant psychiatrisé vers une plus grande autonomie, pour retrouver une place dans la société. Il faut souvent reprendre le même apprentissage, à la limite du découragement. Des petits pas se réalisent, parfois à la manière du tango. Des pas si minimes qu’il faut un oeil « fouineur » pour les voir. Cela prend six mois, un an pour observer un changement positif de comportement. Mais tout signe d’acquis est une victoire sur la maladie. J’ai été profondément ému parce que l’un d’entre eux avait nettoyé son rasoir électrique et qu’un autre, spontanément, avait décidé de passer le balais et vider la poubelle. Je suis aussi surpris par celui qui me demande si je me suis bien remis de ma grippe, alors que son discours se limitait généralement à répondre « oui » ou « non » quand ce n’était pas le mutisme complet.

CONVICTIONS PERSONNELLES

Je suis à peu près certain que si personne ne s’occupait de ces gars, ils retourneraient tôt ou tard dans le cycle infernal de I’itinérance au sens propre du terme, errant le long des quais du métro ou dans les centres d’achats du centre-ville et couchant en alternance dans la rue et dans les missions. À la source de mon engagement envers ces gens, il y a une conviction que nous sommes tous frères en Jésus-Christ; tous enfants d’un même Père qui nous a créés égaux en droits. Malheureusement, tous n’ont pas eu la même chance de départ ou n’ont pas eu les mêmes opportunités de soutien au cours de leur vie. Et enfin, marginalisés par eux-mêmes ou par la société, ils ne sont pas reconnus comme personne à part entière. Ma présence, ainsi que celle que tous ceux qui oeuvrent à la Maison du Père, est d’offrir à chacun de retrouver une dignité, parce qu’ils ne sont plus seuls, parce qu’ils sont importants pour moi, parce qu’ils ont une place.

Jean Thevenin, ofm.

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